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On dirait des Romains!

  • teutaarverni63
  • 24 oct.
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 25 oct.

 

Avant même la conquête romaine de 58 av. J.-C., les Arvernes, peuple gaulois dominant en Auvergne, entretenaient des relations complexes avec le monde méditerranéen. Leur mode vestimentaire et leurs accessoires révèlent une hybridation culturelle subtile, bien loin des clichés opposant Gaulois "irréductibles" et Romains conquérants.

Cet article explore les traces archéologiques de cette influence, les interprétations des historiens, et notre propre démarche de reconstitution, qui met en lumière une réalité nuancée : l’adoption sélective et socialement différenciée des codes romains par les Arvernes au premier siècle avant JC.



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1. Les traces archéologiques : Des preuves matérielles d’une culture métissée


1.1. Les fibules de Corent : Un symbole d’ouverture méditerranéenne chez les élites


La découverte de la paire de fibules en or sur l’oppidum de Corent (Poux et al., 2007), datée du Ier siècle av. J.-C., est l’un des témoignages les plus éloquents de l’influence romaine en Auvergne. Ces accessoires, typiquement italiques, servaient à fixer les vêtements et étaient réservés aux élites, comme en attestent leur matériau précieux et leur contexte de découverte.

 

« Ces fibules ne sont pas de simples importations : elles témoignent d’un choix délibéré des élites arvernes pour s’afficher comme des acteurs ouverts aux influences méditerranéennes, tout en conservant leur identité gauloise. »

— Matthieu Poux, Gallia, 2007, p. 195.

 

1.2. Les amphores républicaines : Des échanges commerciaux et culturels


Les fouilles ont également révélé des amphores républicaines (Loughton & Jones, 2000), utilisées pour transporter du vin et d’autres denrées depuis l’Italie. Leur présence en Auvergne dès le IIe siècle av. J.-C. prouve que les Arvernes entretenaient des relations commerciales actives avec Rome.

 

1.3. L’oppidum de Corent : Un laboratoire d’hybridation culturelle


Corent, l’un des principaux centres politiques arvernes, a livré un mobilier qui suggère une volonté d’imitation sélective des élites méditerranéennes (Poux, 2000–2024). Pourtant, aucune toge romaine n’a été retrouvée, ce qui indique une adoption ciblée des codes vestimentaires étrangers. Les ateliers de Lezoux, quant à eux, montrent une influence technique romaine (Bet, 2018).

 

2. Les hypothèses des historiens : Entre romanisation et résistance culturelle


2.1. Une influence romaine précoce et socialement stratifiée


Les historiens s’accordent sur le fait que les Arvernes ont été exposés à l’influence romaine bien avant la conquête. Selon Alexandra Croom (2000), les Gaulois adoptaient principalement des accessoires (fibules, ceintures) plutôt que des vêtements complets comme la toge, symbole civique romain. Cependant, cette adoption était inégale selon les classes sociales :

Les élites intégraient des éléments romains de manière ostentatoire (fibules en or, vaisselle fine) pour afficher leur pouvoir et leurs alliances.

Les artisans et paysans adoptaient sans doute des objets romains plus fonctionnels sans nécessairement en faire des marqueurs identitaires.


« Les élites gauloises utilisaient des objets romains pour afficher leur pouvoir, mais sans renoncer à leur identité. Pour les classes populaires, l’influence romaine était plus discrète, voire inexistante. »

— Alexandra Croom, Roman Clothing and Fashion, 2000, p. 45.

 

2.2. Un débat historiographique : Acculturation ou stratégie politique ?


Certains chercheurs, comme Pascal Bet (2018), soulignent que les ateliers de Lezoux montrent une ouverture technique aux méthodes romaines, mais sans abandon des traditions locales. D’autres, comme John Creighton (2006), estiment que ces échanges étaient avant tout économiques et ne reflétaient pas une adhésion culturelle profonde.


« Les Arvernes n’ont pas subi la romanisation : ils l’ont négociée. Leurs élites ont choisi ce qui leur était utile pour renforcer leur autorité, tandis que le peuple conservait des pratiques plus traditionnelles. »

— Pascal Bet, Archéopages, 2018, p. 112.

 

Cette différenciation sociale est cruciale : l’hybridation n’était pas uniforme, mais graduée selon le statut.

 

3. Notre interprétation : Une hybridation socialement différenciée et assumée


3.1. Un parti pris visuel : Pourquoi nos reconstitutions ne sont pas "100 % gauloises"


Notre association a fait le choix de représenter cette hybridation. Pourquoi ? Parce que l’archéologie nous y invite. Les traces archéologiques prouvent que les élites arvernes adoptaient déjà des codes méditerranéens avant la conquête. Les ignorer serait un biais dans notre objectivité.

 

Cependant, nous sommes vigilants à ne pas tomber dans l’excès d’une romanisation généralisée. Notre approche est nuancée et socialement différenciée :

 

Pour les élites : Nous intégrons des éléments romains de manière plus ostentatoire (codes vestimentaires, bijoux, mobilier équipement).  Chaque projet individuel va élaborer une intégration plus ou moins importante de ces éléments aux codes gaulois suivant la proposition réalisée. Cela reflète leur statut de médiateurs culturels.


Pour les artisans et paysans : L’hybridation est plus discrète voire inexistante.  Par ce biais, nous reflétons la disparition progressive des signes de romanisation sur les zones plus rurales. Cependant nous n’excluons pas de considérer des éléments de mode comme probables : des coupes de vêtements plus amples, des tissus de couleurs unis (plus romanisant que les tissages à motifs plus traditionnellement celtes).


Pour les guerriers : Nous privilégions une base traditionnelle d’équipement celte (casque, cotte de mailles, lance, épée, bouclier celtique). Chaque guerrier va ensuite choisir d’intégrer ou non des éléments romanisants, traces potentielles d’une acculturation ou d’un passif auxiliaire. Il est évident que nous n’envisageons pas ces traces de façon systématique, elles dépendent du projet au cas par cas.


 

3.2. Une hybridation parfois forcée, mais toujours justifiable


Certains pourraient nous reprocher de "romaniser" excessivement nos reconstitutions. Nous assumons ce choix, mais avec méthode :

Nous forçons parfois le trait pour rendre visible cette hybridation, surtout dans un contexte de médiation où la lisibilité est essentielle.

Nous expliquons toujours nos choix au public, en distinguant

-          Ce qui est attesté archéologiquement (ex. : les fibules de Corent),

-          Ce qui relève de l’interprétation (ex. : l’association d’une tunique celtique avec une fibule romaine),

-          Ce qui est une hypothèse de travail.

 

Notre objectif n’est pas de montrer des Gaulois "purs" ou des Romains déguisés, mais des Arvernes tels qu’ils étaient à un moment donné de leur histoire : un peuple qui créait sa propre identité, entre ses traditions et son ouverture au monde.

 

3.3. Pourquoi cette démarche nous semble indispensable ?


Pour coller à la réalité archéologique :

Les découvertes en Auvergne montrent une présence indéniable d’objets méditerranéens. Les ignorer serait trahir ce que nous savons des Arvernes.

Pour montrer la complexité sociale :

L’hybridation n’était pas uniforme. En la représentant de manière différenciée (élites vs. peuple), nous rendons compte de cette stratification culturelle.

 

Pour éviter les clichés :


Le grand public imagine souvent les Gaulois comme des "barbares" torse nu, criant fort, indifférents du reste du monde, opposés aux Romains "civilisés". Notre travail brouille ces frontières et montre que la réalité était bien plus nuancée.

 

Pour inviter à la réflexion :


En forçant légèrement le trait (tout en restant crédibles), nous poussons le public à se questionner : « Pourquoi je n’étais pas sûr que c’était un gaulois ? »

 

4. Conclusion : Une identité arverne, ni gauloise ni romaine, mais résolument hybride


Notre démarche ne cherche pas à présenter des Arvernes "romanisés" ou "gauloisés". Elles montrent un peuple qui a construit sa propre identité, en empruntant à Rome ce qui pouvait lui être nécessaire.


Pour les élites, l’hybridation était un outil de pouvoir : un moyen de montrer leur ouverture tout en affirmant leur singularité.

Pour le peuple, elle était plus discrète et pratique : une adaptation fonctionnelle plutôt qu’identitaire.

Pour nous, reconstituteurs, elle semble une nécessité : la manière de rendre compte de la complexité archéologique.

 

On nous dit parfois : "Vous avez l’air tellement romains."

 Notre réponse est simple : « parce qu’ils l’étaient sans doute déjà un peu ».

 Pas de manière passive ou soumise, mais avec les évolutions dynamiques culturelles de cette période de leur histoire. Et c’est précisément cette subtilité que nous voulons faire découvrir.

 

Bibliographie

Bet, P. (2018). Lezoux, un complexe majeur de production de poterie. Archéopages, 45, 110–125.

Croom, A. (2000). Roman clothing and fashion. Tempus.

Creighton, J. (2006). Coins and power in Late Iron Age Britain. Cambridge University Press.

Loughton, M. E., & Jones, S. (2000). Les amphores républicaines en Auvergne (Puy-de-Dôme). Revue archéologique du Centre de la France, 39, 63–81.

Poux, M. (2007). Paire de fibules en or du Ier s. av. J.-C. : Autour d’une découverte de l’oppidum de Corent (Puy-de-Dôme). Gallia, 64, 191–225.

Poux, M. (2000–2024). Publications et rapports de fouilles sur l’oppidum de Corent. INRAP.

 
 
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